LA PIERRE EST SON MIROIR

Il faut voir le tailleur de pierre dialoguer avec la matière. Il y a là, de nos jours encore, la manifestation d'une filiation cachée qui se perd dans la nuit des temps. Mais lorsqu'on rencontre, par surcroît, un tailleur de pierre qui est une jeune femme d'une trentaine d'années, la surprise ajoute au mystère. Valérie Sonnet est cette jeune femme qui œuvre dans la zone industrielle de Grimaud, au sein d'une entreprise spécialisée. Au cœur du Golfe, une femme élève ainsi des monuments à la gloire d'un des plus beaux métiers du monde.

De Stonehenge à Carnac, de la pyramide de Chéops à la cathédrale de Chartres, les pierres ont le même langage. Paradoxalement, malgré la différence des cultures, des rites et des croyances, toutes ces constructions étaient issues de la même tradition du rassemblement des hommes. Les formes proviennent toutes d'une parfaite connaissance des lois géométriques de l'univers, elles utilisent les mêmes procédés : passage du carré au rond, du double carré au pentagone et, issues de ceux-ci, les mêmes proportions par le nombre d'or.

Cette filiation par la pierre rappelle que l'histoire de la construction répond toujours à la nécessité d'affirmer une nouvelle pensée, une nouvelle philosophie, un nouveau progrès. Valérie Sonnet sait tout cela depuis qu'elle est venue à la pierre par un bac + 2 de lettres classiques. Cela se passait à la fin des années 80, début 90, avec l'apprentissage du métier de tailleur de pierre à l'A.F.P.A. d'Angers en 1991, qui lui décernera son certificat de formation professionnelle. Une belle région que l'Anjou, pour entamer une histoire d'amour avec la pierre, là où le blanc tuffeau a permis de bâtir les châteaux de la Loire et qui présente cette étonnante particularité de durcir en vieillissant.

Mais d'abord, pourquoi un métier d'art ?
Valérie répond : " Sans doute parce que j'ai baigné dans ce milieu depuis mon plus jeune âge. Mes parents possédaient une galerie d'art à Vesoul et les vernissages mensuels m'amenaient à côtoyer tous les artistes qui y exposaient leurs œuvres ".
D'accord, mais pourquoi la pierre ?
" Parce que, très vite, par les œuvres sculptées que je voyais, j'ai considéré qu'un bloc de pierre brute, c'est de la beauté en puissance ".
On ne pense pas, de prime abord, qu'il s'agisse d'un métier de femme.
" Certes, c'est un métier qui demande de la force physique, une grande résistance et beaucoup de vitalité. C'est pourquoi, j'en ai conscience, il y a peu de femmes qui le pratiquent ".
Mais c'est un beau métier ?
" Dans ce métier, où aucun jour ne ressemble au précédent, il n'y a pas de place pour la monotonie. Chaque jour est un jour nouveau, riche d'enseignements ".
Un métier qui ne doit pas laisser indemne ?
" On ne travaille pas un matériau dit immortel, sans subir quelques transformations intérieures. Quand je travaille la pierre, je ne recherche pas l'affrontement avec la matière, mais la communion. Elle est comme un miroir. Quand je travaille la pierre, c'est un peu moi que je cisèle. J'apprends la patience, la rigueur, l'humilité et le bonheur devant le travail réussi ".
Valérie compose donc ses poèmes, ses sonnets, osera-t-on dire, à la pierre, chaque jour ouvrable, dans cette zone industrielle de Grimaud, où sont rassemblées, pêle-mêle, tant d'activités disparates et pourtant toutes vouées à la construction dans le Golfe. Les belles villas des douze communes s'ornent depuis des années - Valérie est employée de Bernard Jeanront depuis 1992 - de ses fontaines, de ses cheminées, de ses vasques, et même, pour certains amateurs, de ses cuisines et d'un certain mobilier de salle de bains, comme de superbes baignoires et lavabos. Mais Valérie sait à peu près tout faire. On peut lui commander une table d'intérieur ou de jardin, votre table basse de salon, votre rosace sur le seuil de votre maison. Bref, la rencontrer c'est entamer à votre tour, un dialogue avec un artiste d'un type bien particulier. Sans doute l'un des plus anciens artistes des Métiers qui ont fait l'humanité, mais que nos temps modernes évacuateurs essaient de pousser aux oubliettes. Avec Valérie (et la pratique de prix très convenables), les temps modernes vont avoir du mal pour parvenir à leurs fins.

"Je pratiquerai ce métier tant que la passion m'animera et que le chant des pierres me charmera", dit-elle en souriant. Et comme chacun le sait, certaines passions chez la femme peuvent durer très longtemps…

Text by : Pierre Nembrini - Publication in "La Revue du Golfe de Saint Tropez"

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